Le mariage d'outre tombe

 

Depuis son enfance, les lectures d’Alexandre confortaient ses rêves, c’était entre autres : Les cigares du pharaon, le temple du soleil et encore Champollion l’Égyptien. Ses livres d'aventuriers, ses films, se conjuguaient au passé. Sa fascination pour l'histoire de l'homme et des civilisations ne l'avait jamais quitté.

 A l'adolescence, il fit la connaissance d'une association, un club de fouilles archéologiques encadré par le professeur Dieudonné et sa compagne. Alors,  il commença à creuser, fouiller la terre et en passa des mètres cube au tamis. Il parcourut les souterrains de la ville de Reims, entre la place Museux et la basilique Saint-Rémi. Il avait toujours aimé l'odeur de roche et d'humus. Avec des outils ou à mains nues, les ongles en deuil, il grattait la tourbe, le calcaire, humait les senteurs du passé.  À lui le plaisir de découvrir les tessons, débris d'os ou fragments de poteries émaillées. À lui le rêve de trésors enfouis.
Le professeur Dieudonné aux airs de doux rêveur passionné, avait passé la cinquantaine. A chaque rencontre il proposait une nouvelle quête, d'autres travaux. Barbu, les cheveux en bataille, c'était un grand distrait. Son bureau installé à l'étage de l'ancien collège des Jésuites était un capharnaüm. Il fallait faire attention où l'on mettait les pieds, enjamber une collection de didgeridoo, être habile et éviter des piles de documents et masques africains. Sa bibliothèque recelait des trésors de livres anciens aux épaisses couvertures de cuir.

Une fin d'après-midi Alexandre fut fier d'avoir réussi à reconstituer une poterie. Il vint frapper à la porte du bureau de Dieudonné. Sans attendre il entra, il n'y avait personne dans la pièce encombrée. Alexandre patientait quand il vit sur une étagère un parchemin sur lequel reposait une vieille clef. Il s'approcha et commença à le lire. Il y était indiqué en vieux français, que le caveau derrière le presbytère, abritait la tombe d'une grande famille Rémoise. En post-scriptum il était précisé : Pour passer de vie à trépas sous dernière demeure ne meure pas. Descente et passage au sanctuaire.

Quelques jours plus tard, Alexandre s’aventura dans le verger, accompagné de Thimothée son ami de toujours. Au fond de sa poche, il tenait la vieille clef qui ouvrait le caveau le plus proche du presbytère.
Le grincement des gonds rouillés, leur ouvrit la porte d’entrée d’un boyau de la terre. Ils entrèrent dans ce qui ressemblait à une petite chapelle. Ils balayèrent au faisceau de la torche électrique, deux cercueils poussiéreux.
– Brrr c’est vraiment lugubre, je n’aime pas trop ça, murmura Timothée.
– T’inquiète pas, on a rien à craindre de ceux-là.  Je sais qu’ici il y a un accès aux galeries, il faut juste trouver le passage. Oh ! Regarde celui-ci ! il est sur une trappe en bois,  viens m’aider à le déplacer, c'est peut-être par ici.
– Tu ne crois pas qu’on devrait les laisser en paix ?
– Aide-moi ! On remettra tout en place.
Ils firent glisser le cercueil vermoulu et soulevèrent la trappe. Une odeur aigre d’outre-tombe s’échappa des profondeurs. Après un premier mouvement de recul, leurs lampes éclairèrent un escalier de pierre qui descendait en spirale.
Alexandre était curieux et avide de frissons. Thimothée, qui était plus raisonnable, le suivait en retrait. Quelles découvertes allaient-ils faire ? Après quelques frayeurs dues aux toiles d’araignées, ils arrivèrent dans une galerie horizontale.
– Fais attention où tu mets les pieds, parfois il y a des puits, avertit Alexandre en connaisseur de ce monde souterrain.
Durant dix minutes ils avancèrent dans ce sombre dédale voûté, ils croisèrent quelques passages perpendiculaires. Souvent, ceux-ci étaient murés ou obstrués d’éboulis infranchissables. Alexandre, aventurier prévoyant, déposait à chaque carrefour une bougie qu’il avait allumée. Cet éclairage répandait une lumière solennelle sur leur exploration.
Ils arrivèrent dans une petite salle en pente douce. Son sol s’enfonçait dans une nappe d’eau. Les parois brillaient d’un blanc scintillant, elles étaient en fait recouvertes d’une fine couche de calcite. Ils la nommèrent la salle blanche. A cet endroit, une brique du mur placée en hauteur, formait comme une niche. Il y était gravé en latin cette phrase mystérieuse : EX.AMICITIA NASCUNTUR DELICIAE .
– Tu comprends ce que cela veut dire ? demanda Timothée.
– Je crois que c’est quelque chose comme « Une amitié naissante est délicieuse »

L’eau leur bloquant le passage, ils décidèrent de revenir sur leurs pas. Ils eurent le plaisir de redécouvrir les petites flammes, vacillantes mais rassurantes, des bougies qu’ils avaient déposées. Arrivés au dernier carrefour avant l’escalier, ils sentirent une odeur écœurante de corne brûlée. Le feu de la bougie s’était propagé à quelques débris au sol. A la lueur de la flamme, ils réalisèrent que c’étaient des bouts d’os qui s'étaient enflammés car la bougie avait fondu et coulé dessus. Un reflet luisait dans la nuit, Alexandre fut alors stupéfait de découvrir au sol, près des flammes, deux bagues en argent. Sur l’une il était gravé « AMICITIA », sur l’autre « DELICIAE ».
Qu'est-ce que cela voulait dire ? Mais surtout, quelle étrange coïncidence ! Ils étaient sous un ancien cimetière, alors étaient-ce les bagues d'un couple uni dans la mort ?
Timothée comme Alexandre n’étaient pas superstitieux, mais après s’être concertés, ils décidèrent de retourner à la salle blanche y déposer ces reliques.
De retour au pied de la niche, ils étaient résolus à  y déposer les alliances. Thimothée fit la courte échelle à Alexandre. Une fois à bonne hauteur et il tendit la main dans cette petite cavité, il déposa les bagues puis en ressortit une petit poterie.
– Regarde un peu ce que j'ai trouvé ! dit Alexandre.
– On dirait un petit pot en terre cuite.
– Oui, ça paraît ancien. Il est en terre sigillée, tu vois c'est reconnaissable au vernis rouge. C'est la première fois que j'en vois un intact.
Le pot était fermé à la cire. Alexandre sentit en le remuant qu'il contenait quelque chose. Avec son Opinel, il retira la cire et sortit délicatement du pot, un objet.
– Qu'est-ce que c'est ?
– On dirait un petit rouleau de parchemin. Il parait complètement rigide, il doit être déshydraté. Je le remets dans le pot, on regardera ça à la maison.
Alexandre et Timothée se félicitèrent d'être revenus sur leurs pas. C'était comme si le sort les récompensait de cette bonne action.
Sur leur chemin de retour, ils étaient plein d'enthousiasme. Une nouvelle aventure se profilait avec l'espoir de déchiffrer ce parchemin.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

La perfidie des classiques

Nature inconsciente

Retour à Pernes les fontaines