Les déambulations de Bartholomé Marlouf
I L'odeur des amis.
Bartholomé faisait ses courses et ne passait pas inaperçu dans ce
magasin d'alimentation. On entendait le martèlement de ses chaussures à
semelle de bois, (tchique clic tchic clac, tchique clic tchic clac) Il
parcourait les allées à la recherche de chamallows et était suivi par
Fulgur son chat.
Cet après-midi il avait délaissé son quartier, il n'était plus en odeur
de sainteté dans sa boutique habituelle, Fulgur avait eu la mauvaise
idée d'y laisser une petite crotte à l'entrée. Il avait sans doute
commis ce forfait par contrariété, Bartholomé s'était brouillé avec le
marchand, un ami de longue date.
Alléché part un doux parfum de chamallows à la vanille il était entré
ici. Arrivé à la caisse, quand enfin ce fut son tour, il déposa ses
emplettes et fut de suite subjugué par la caissière, l'odeur de vanille
c'était elle. Dans sa tête, une boite à musique parfumée venait de
s’ouvrir, il imagina la caissière en ballerine esquissant quelques
gracieux pas de danse sur la mélodie du "Carnaval des animaux". Cette
femme était d'une beauté...
Elle avait un chien fou !
Bizarrement l'animal qui était sagement assis derrière elle prit la
parole, sans demander la permission à sa maitresse il s'adressa à Fulgur
en le regardant droit dans les yeux :
— Chaperlipopette ! Comment se nomme la théorie qui explique qu'une
particule peut traverser l'univers quasiment Instantanément ?
Tout en léchant délicatement ses coussinets Fulgur s'abstint de lui
répondre "Et ma petite crotte tu la veux ?" Cependant, il le renvoya
dans ses cordes et lui dit : — Pour moi ce sera une boite de croquettes
et une bonne sieste sur le bureau de mon maitre près de sa machine à
bisous.
La caissière prénommée Philomena était elle-même troublée par l'élégance
de son client au chat bien élevé. Il est vrai que Bartholomé avait une
jolie moustache si finement dessinée. Philomena estima que cela lui
donnait un air de Don Quichotte.
Alors qu'elle scannait les articles elle se vit en sa compagnie parcourant la Mancha à dos d'âne au milieu de champs d'orangers.
Elle se saisit du paquet chamallows et ne put résister à la tentation
d'appuyer sur chacune de ces guimauves, elle testait ainsi leur
élasticité.
— Ils sont à points vous allez vous régaler.
— Oui je les préfère comme ça pour la fondue au chocolat chaud.
Leurs regards se croisaient, virevoltaient et se croisaient à nouveau,
on aurait pu entendre chaque note de la boite à musique rythmée au pas
des ânes suivis par les éléphants du carnaval mais finalement Bartholomé
se présenta :
— Bonjour mademoiselle, mon prénom c’est Bartholomé, je suis grand amateur de chamallows et chercheur en innovation humaine.
— Mademoiselle Philomena à votre service, croqueuse de chamallows à la vanille et caissière en alimentation gourmande.
Il paya ses achats et proposa une soirée repas chocolat à Philomena. Le rendez-vous fut pris pour le samedi dans deux jours.
Tchique clic tchic clac, tchique clic tchic clac, Bartholomé quittait le magasin.
Dans la rue, les pas de Bartholomé sur son petit nuage étaient cependant
sonores : Tchique plouf plaf, tchique plouf plaf, c’est que la pluie
s’était mise à tomber de haut. Ce temps était tout à fait au goût de
Fulgur qui bondissait gaîment en évitant les gouttes et les flaques.
Ils s’engagèrent sur le pont des dames fait en bois de flamboyant
entièrement fleuri de pourpre, Bartholomé fit un bouquet qui allait lui
servir pour la confection d’une invitation parfumée dans les formes à
l’attention de ce phénomène de Philomena. Il flottait sur la rivière
comme le parfum d’un petit bonheur. Alors, Bartholomé se mit à chanter
dans la douce lumière bleu et humide de cette fin de journée :
« Moi mes souliers ont beaucoup voyagé, moi, mes souliers ont passé dans
les prés, moi, mes souliers ont piétiné la lune, puis mes souliers ont
couché chez les fées et fait danser plus d'une. » (1)
Fulgur qui devait pour le suivre accélérer les pas pattes, s’amusait de
ce que son maître en souliers le prenne pour un chat botté. Ils
s’engagèrent dans la rue pavée de notre-dame des philosophes, ils
croisèrent une procession de professeurs en toques à la recherche d’un
esprit supérieur, ils tournaient en rond depuis quelques jours dans le
quartier, ce soir on ne distinguait plus qui tournait après l’autre.
Rue des harmoniques Bartholomé et Fulgur dépassèrent la maison du
facteur de piano, ils s’arrêtèrent une minute devant le joueur d’orgue
de barbarie, c’était un Semnopithecus à clochettes venu tout droit des
Indes, il s’était spécialisé en musique langureuse. Dans la rue, des
couples s’étaient formés et dansaient langoureusement en faisant des
mouvements complètements impossibles avec les mains. Fulgur reconnu ce
singe Langur et musicien, ils s'étaient rencontrés lors d'une soirée
dansante, Fulgur avait une maîtrise en cha cha cha.
Bartholomé devait aller saluer un groupe d'amies, une joyeuse bande de
jeunes femmes dans une rue du centre ville remplie de restaurants.
C'était la rue des rousses-pêteuses où les restaurateurs proposaient
tous des menus gratuits d'haricots en grains et autres fèves pour les
rousses. Elles étaient reconnues pour cette particularité, la ville
prenait en charge le prix des repas et ces dames repartaient avec une
petite bouteille de gaz à remplir. Le méthane servait par la suite à
alimenter les loupiotes.
Tchique plouf plaf, tchique plouf plaf, après les salutations ils
arrivèrent à temps place de la grimpette pour le funiculaire de dix-huit
heures vingt-trois minutes, Fulgur se percha sur le bord d’une fenêtre
et son maître s’installa à l’étage aménagé en canopée de bambous. De
temps en temps, Bartholomé passait la tête à travers le feuillage.
Malgré le spectacle intermittent de la pluie, il pouvait, façon de
parler, se mettre au parfum et voir passer les loupiotes volantes, elles
parcouraient la ville comme des feux follets en pétaradant. Elles
avaient remplacées depuis quelques années les lampadaires.
(1) La chanson « Moi mes souliers » de Félix Leclerc
II Là haut sur la colline
La maison de Bartholomé était perchée au sommet d'une colline qui dominait la ville.
Chaque rue et habitation s'étageaient en terrasses colorées par des
portes et volets aux couleurs pastel. Les lierres et buissons fleuris y
ajoutaient une touche de chlorophylle rafraîchissante.
Bartholomé retrouva sa maison, le lieu de toutes ses expériences de
chercheur au sommet de la ville. En dehors de quelques expérimentations
amusantes avec sa machine à bisous, il s'était spécialisé dans
l'amélioration du toi. Non pas de vous, de eux, de nous, de il ou elle,
mais de toi. Il va sans dire qu'aujourd'hui «Toi» s'appelait Philomena.
Fulgur tout en se dirigeant vers la terrasse qui leur servait de toit se
dit que son maître « du toi » comme un cordonnier mal chaussé aurait
bien besoin de Philomena. Il se faufila dans l'entrebâillement de la
porte et se figea. Sur la crête du muret qui entourait la terrasse,
Crocro était là, lugubre avec sa bande de volatiles éclairés par les
lumières de la ville.
"Crocro — Croâ
Jax — Croâ, Croâ
Yvan — Croâ, Croâ, Croâ
Tel — Croâ,Croâ.
Les trois corbeaux regardaient Tel d'un air mécontent. Tel se tourna vers eux d'un air surpris et haussa les épaules.
Crocro reprenant — Croâ
Jax — Croâ, Croâ
Yvan — Croâ, Croâ, Croâ
Tel — Croâ, Croâ, Croâ, Croâ ?
Les quatre corbeaux se regardaient en souriant. Ils hochaient délicatement leur tête noire d'un air profondément satisfait."
Au sol, Fulgur aperçu une petite musaraigne qui trottinait insouciante.
Approchant silencieusement il se glissa dans l'ombre, seules ses
moustaches frémissaient, il levait lentement ses pattes de velours et
gagnait insidieusement du terrain sur sa proie. Les corbeaux ne
croissaient plus mais regardaient la scène d'un œil gourmand. Cacahuète,
car c'était son nom trottinait vers la gamelle du maître de ces lieux,
il restait là quelques croquettes à grignoter. Fulgur bondit à la
vitesse de l'éclair et s'empara du petit rongeur en découvrant ses dents
pointues. Il commença à mordiller cacahuète puis s'amusa à la lancer
d'une patte pour la rattraper de l'autre comme un jongleur.
Crocro l'encouragea :
— Vas-y ne te gêne pas épluche la toute crue cette cacahuète.
Cacahuète qui elle, se démenait et se tortillait s'écria :
— Lache moi Fulgur, tu me chatouilles !
Il répondit :
— Misérable souriceau pour ce soir je me contenterai de croquettes, je vais donc t'épargner.
— Allez espèce de goujat, tu m'en laisses une, j'ai une grande famille à nourrir moi.
— Trêve de bêtises mes amis que s'est-il passé aujourd'hui dans le quartier ?
Pendant que Fulgur écoutait les nouvelles, Bartholomé bricolait tout en
préparant le repas. La cuisine était encombrée par son laboratoire à
côté de l'évier. Sur une table rustique trônait la machine à bisous une
sorte d'usine à gaz en miniature. Son fonctionnement reposait sur la
technologie de l'empreinte, cette machine sensible était empreinte d'une
humanité profonde. Bartholomé avait recouru à une série de moulages,
toute la bande des rousses-pêteuses s'y était prêtée. Ce soir il lui
fallait faire son propre moulage puis ajouter les ingrédients. Il
hésitait entre faire une bouche en cœur ou un simple sourire, Fulgur qui
était rentré discrètement, le regardait faire en se léchant le museau.
Bartholomé utilisa ensuite différentes sortes de fleurs, la rose
fonctionnait bien mais il déversa des pétales de frangipanier pour la
consistance et ceux d'un flamboyant pour la circonstance.
Le lendemain aux premières lueurs de l'aube, la machine à bisous délivra
une série de chapelets de bises volantes, elles dévalèrent les pentes
de la ville et arrivèrent sur les joues de Philomena comme un alizé
parfumé à la frangipane. « Un cadeau en forme d'invitation de la part de
Monsieur Marlouf sur la colline. » La collègue de Philomena s'amusait à
chantonner :
L'amour, l'amour, c'est le poivre du temps. Une rafale de vent, une feuillée de lune. (M Mouloudji)
III Le rendez-vous
Cet après-midi le patron de Philomena, monsieur
Abélard Filoutin n’allait arriver que peu avant la
fermeture. Elle s’installa à la caisse. Les premiers clients ne tardèrent pas à
arriver, elle avait un peu de mal à se concentrer sur son travail, elle repensait
à l’agréable surprise de la matinée. Un délicat chapelet de bisous était venu
la surprendre et lui rappeler l’invitation de Bartholomé. Elle en avait rougi
et depuis elle était distraite et émue pour un rien. C’est ainsi qu’au lieu
d’encaisser les clients elle décaissa, non seulement
les clients ne payaient pas, mais elle leur donnait le montant de leurs achats
en argent liquide. À l’arrivée de Monsieur Abélard Filoutin,
la caisse était vide.
Le patron était à la limite de la crise cardiaque, le visage rouge de colère,
il vociférait encore au sujet de Philomena quand on
toqua à la porte du magasin. Quelle ne fut pas la surprise d’Abélard, une
multitude de corbeaux s’étaient perchés sur les fils électriques dans la rue et
sur les toits des maisons
alentour. Crocro, Jax, Yvan et
Tel se tenaient devant la porte. Crocro prit la parole
:
— Croâyez moi monsieur nous avons pris connaissance de vos déboires, les amis
de nos amis sont nos amis et Philomena en fait partie,
nous sommes venus vous proposer un dédommagement incroâ-yable. Ce que nous vous
proposons, c’est d’assurer gracieusement le transport du click et collecte de
vos clients durant une semaine. Filoutin comprit que
cette méthode de ravitaillement allait faire fureur et ferait une belle
publicité au magasin, l’accord fut conclu.
Philomena pu enfin quitter son lieu de travail et se
rendre à son rendez-vous.
Le dîner amoureusement préparé par Bartholomé commençait à refroidir, il était
assis seul à la table qu’il avait dressée pour deux avec chandelles et comme dans
le film de Charlot « La ruée vers l’or » Bartholomé révisait la danse des
petits pains en s’amusant à les faire danser sur la table.
Alors qu’il finissait son numéro en chantonnant Philomena qui venait d’arriver,
fut toute attendrie, sous le charme de cette scène elle s’approcha et de
mémoire de chat on ne vit plus tendre baisé.
Fulgur se retira discrètement sur la terrasse et vint
retrouver toute la bande des corbeaux, Crocro avait
lancé des paris sur les amours de Philomène et Bartholomé.
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