La cravate de la matière
On pourrait décrire la cravate de la matière un peu comme on parlerait de l'influence des rayons gamma sur le comportement des marguerites. Mais auparavant, il faudrait parler de l'influence des rayons gamma sur le comportement de mes parents.
La matière peut paraître scientifique ou cosmique, mais en fait ici,
elle est du domaine médical, pour le moins métaphysique voire biologique
et dans tous les cas, comique.
Cela commence ainsi : il était une fois cette famille nombreuse de six
enfants qui vivait heureuse dans un petit pavillon de banlieue. Le
jardin était assez grand pour que les enfants que nous étions puissent
tous s'y épanouir, jouer et cultiver toutes sortes de légumes ainsi que
des marguerites. Il y avait autour de la maison quelques voisins : les
"Ronchons", les "Potins" et l'inoubliable madame Marabama Dialo, femme
seule, mais d'une énergie débordante. Elle était pour nous comme une
vieille mamie tendresse, active et incontournable car toujours dehors et
en boubou. Le matin, quand on allait à sa rencontre, cela commençait
par un « Ban mwen on tibo *» puis elle avait toujours quelque chose à
nous raconter, des histoires à dormir debout qui se finissaient
invariablement par son : « C'est la vérité vraie ce que je vous dis là »
Elle était généreuse, nous donnait de ses légumes, radis, carottes et
révélait ses meilleures recettes à nos parents. Madame Marabama Dialo
que l'on surnommait entre nous, la bonne sorcière, avait le sens de la
terre, un savoir certain et chez elle tout poussait bien.
Le jour où ma sœur tomba malade pour la troisième fois en peu de temps
d'une méchante angine, Madame Dialo vint à le savoir. Elle donna à nos
parents un remède imparable qui devait faciliter sa guérison. Au soir,
nous étions ressortis dans le jardin au moment de l'apparition des
premières étoiles et leurs rayons gamma. Je me souviens que toute la
famille sauf la malade, s'était retrouvée dehors à cueillir des
marguerites. Il avait fallu, sans faire de bruits pour ne pas réveiller
les "Ronchons" ou les "Potins", retourner une partie du potager éclairés
à la lampe de poche. Le but était de faire également une récolte de
vers de terre. Je revois dans le fond d'un seau une masse grouillante
qui se tortillait. Ils furent mélangés aux marguerites et récupérés dans
un torchon qui allait servir pour toute la nuit de cravate à ma sœur
malade. Au petit matin, on ne savait plus s'il fallait parler de la
matière de la cravate ou de la cravate et sa matière. Le sujet de
conversation était l'horrible et épouvantable odeur de notre sœur qui
avait miraculeusement retrouvé toute sa santé. C'est avec vigueur
qu'elle s'était précipitée hors de son lit où s'étaient répandues la
cravate et sa matière.
Mes parents, encore aujourd’hui, sont persuadés que les marguerites, les
rayons gamma et les vers de terre ont aidé à la guérison, mais aucun
des enfants ne s'est à nouveau prêté à cette expérience. Si vous
demandiez à Madame Marabama Dialo, elle vous le confirmerait : « C'est
la vérité vraie ce que je vous dis là ».
* Donne-moi un bisou
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