Les Jujus

 

histoires d'enfance autobiographique en 3 parties.

1-Souvenirs

Là-bas dans la vallée... Oui on peut le dire et cela chante bien, il y a près d’ici une vallée de la marne, alors va pour une vallée de la Vesle.
Un petit village, avec sa route nationale, et celle qui descend vers la vieille église.
Sa mairie et son garde champêtre. La route du bas, quelques fermes maraîchères, qui bordent les marécages et les méandres de la Vesle.
La rue, notre rue des anémones a poussé comme un champignon, côté pile, les "Duquenois", côté face, les "Groseilles».
Nous on était du côté " Tucquenois " mais très lié avec de nombreux "Groseilles" .
Il n’y a pas de hlm ici, mais d´un côté de la rue, des propriétaires, maisons et jardins bien arrangés de l'autre des locataires, petites maisons, petits jardins. Vers le haut de la rue un terrain vague où l'on joue au foot. Il y a Toutoune passionné de foot, cancre et bon dessinateur à l’école, je le sais c’est mon voisin au fond de la classe.

Il y a Hamed, Rachid les petits derniers de la famille Tamzi, ils jouent les durs mais Lalou qui connaît les grands frères, nous l’a dit, ils ne sont pas méchants.

De notre côté, le bas de la rue, résident plusieurs autres familles nombreuses et nos voisins, des retraités, monsieur et madame Lefranc.


Benj et moi sommes les petits derniers, arrivés ex aequo dans une famille où il y avait déjà: Fred, Marie-Anne, Lalou et Vivie.

Cela avait commencé par une bonne blague.

Á la clinique où maman était venue accoucher, le gynéco avait dit, au moment de la naissance de Benjamin mon jumeau.

— Continuez, poussez ! Il y en a encore au moins un !

Papa qui était venu assister à l’arrivée d’un seul enfant, est sorti respirer bien fort dehors, un peu comme maman à l’accouchement.


Nos premières sorties en dehors de l’école qui est près de la vieille église, c’est vers la route du bas.

Il faut dire qu’elle passe devant un grand terrain en friche, tas de gravats, briques, arbustes. C’est notre premier terrain de jeux en dehors du jardin.

Les grands y ont fait de superbes cabanes, où l'on y joue quand ils ne sont pas là. Dans les cabanes on se fait des goûters, on raconte des histoires.

Un peu plus loin il y a l’impasse du « Val d’or », elle porte bien son nom et nous donne accès à un monde magique et sauvage, les marécages.


Des premiers souvenirs d’école, Benjamin et moi on se sent débarqués dans un monde de fous, à la récré ça court partout, se bouscule, on n’aime pas cet endroit fermé encore moins les maîtresses et tout cela ne nous intéresse pas.

Au cours préparatoire, l’institutrice a de bonnes vieilles méthodes pour ses trente-cinq gamins, si on fait des bêtises elle a un drôle de jeu, nous les Jujus on y aura vite droit. Il faut tendre les mains et elle doit essayer de nous donner un bon coup de règle dessus, on ne comprend pas pourquoi les copains ne sont pas assez rapides pour les retirer à temps !?

Avec nous après de terribles colères, elle finira par abandonner on joue trop bien, il paraît qu’on n’est pas de bons exemples et que ce n’est pas du jeu. Elle finit par tellement nous foutre la paix, que je me souviens d’une partie de billes avec Benj sur le sol de la classe, où l’on avait terminé, je ne sais comment sous son bureau, c’est elle qui s’en était aperçu, nous on était trop dans notre partie.


On écrivait comme des cochons et lentement comme ce n’est pas permis, on l'a su quelques années plus tard, elle aurait dû nous laisser écrire comme des gauchers qu’on était.

Alors finalement, on a eu le droit de rejouer, de redoubler notre CP.


Ce dimanche matin, après un super petit déjeuner, chocolat chaud, tartines beurre miel et confiture, passage sous la douche pour être beau comme des sous neufs. Maman nous a sorti les vêtements du dimanche, même pantalon, chemise et petit pull, elle adore nous voir habillés à l'identique. (On est trop mignons) Benj a horreur de ça, et moi ça me passe à des années lumières, ce n’est pas une préoccupation. Il faut que l'on soit tout beau pour aller au temple à Reims. On a aussi de belles chaussures noires, bien cirées.


Comme on est prêt à l’avance, bien avant les grands qui commencent tout juste à émerger, on sort voir notre copain François, on a 2 heures devant nous.

En passant par la Lorraine (rue) avec nos souliers, un petit arrêt à l’angle d’une maison, j’ai aperçu une dame, au loin dans ses habits du dimanche elle aussi, elle se dirige vers nous. Ayant les goûts les plus fins pour les bonnes blagues, je sors un pétard de ma poche et l´ enfonce dans une belle grosse merde de chien…

Avec Benj on estime vite fait le temps nécessaire d’allumage, la longueur de la mèche, Benj me donne le top et au bon moment j’allume le pétard, on s’éloigne, la dame approche…

Elle a de la chance l’explosion ne survient qu’une fois qu’elle est passée. A notre grande joie on entend les exclamations outragées de la dame.

Je me souviens encore de ses "bonté divine !", "les voyous !" on était hilare.


On retrouve François devant chez lui, bien habillé aussi, lui ce sera pour l´église.

En attendant on part faire une petite balade le long de la route du bas, direction la sortie du village vers le mont St Pierre. On fait un arrêt près de la vieille écluse sur la Vesle, il y flotte une odeur de vase, François nous montre comment attraper les sangsues et comment elles font ventouses. Elles sont grosses et noires, c’est amusant, on essaye tout de même de ne pas trop se salir.

On repart un peu plus loin, il y a un autre accès vers la Vesle, tout du moins des mares, les alentours sont un peu boueux, tant pis on passera un coup de chiffon.

Près de la plus grande mare où l’on s’embourbe un peu, il y a au bord de belles et grandes planches de bois. Elles sont épaisses et flottent sur l’eau alors on invente un super jeu, le "radeaudo". C’est à celui qui osera s’éloigner le plus de la rive et revenir. Une fois grimpé dessus, l’eau affleure la planche, on a l´impression de marcher sur l’eau, on s´amuse bien. François est très fort à ce jeu-là, mais voilà qu’il n’arrive pas à revenir, il saute donc vers la rive et s’enfonce jusqu’au mollet, waouh !

Il a du mal à s’en sortir, je m’approche pour l’aider et m’enfonce juste un peu à mon tour.

François s’extrait dans un grand sur ! gourmand et boueux qui lui a avalé sa chaussure.

Après quelques recherches dans la gadoue sa chaussure a disparu et on est tous les trois couverts de boue.

On revient, il faut maintenant se dépêcher François s’appuie d’un coté sur Benj et de l´autre sur moi, on le laisse tout près de chez lui, on n’ose pas approcher plus, redoutant les foudres de sa mère. Il aura droit à une sacrée messe.


De retour à la maison, la famille est en retard comme d´habitude, on file quelques minutes au sous-sol pour essayer de réparer le plus gros des dégâts, plus on en retire de la boue, plus il y en a. On se glisse dans la voiture avant que papa ne la sorte du sous-sol, c’est la ruée sous les cris de maman et tout le monde embarque en vitesse.

Une fois garés près du temple, les parents ne remarquent heureusement rien et le culte est commencé.

Le pasteur tout de noir vêtu a la fâcheuse habitude de s’arrêter de parler quand arrivent des retardataires.

Un peu comme à l’école on a nos places habituelles, il nous faut alors remonter la grande travée du milieu dans un silence terrible où l'on n'entend que le flop flop de Benj et moi tout tachés qui laissons, devant les paroissiens, des plaques de boue sur le beau carrelage tout propre du Temple.

Sous le regard courroucé du pasteur, des parents, on va s’asseoir. Je m’évade tout de même un instant en imaginant Jésus à la place du pasteur, nous faisant un clin d´œil complice, oui nous aussi on a marché sur l’eau.

 

 

2- Les Jujus alchimistes

 

Je pense que c'était juste au début des vacances, on parcourait les rues du village. François, Benj et moi, on avait dégoté une carriole à deux grandes roues. De porte en porte, on proposait aux gens de les débarrasser des chiffons, bouteilles vides et cartons. Le ferrailleur de Tinqueux, nous rachetait ça au poids et les bouteilles de champagne vides, 20 centimes. On voulait se faire un peu d'argent de poche. On chargeait bien la carriole, et au bout de quelques trajets et âpres discussions avec le ferrailleur, on avait gagné en trois jours 150 Francs !

François avait acheté un cadeau pour sa maman, Benj et moi, des jeux. On avait mis fin à notre gagne-pain après avoir écumé le quartier. Un voisin nous avait informés que l'on faisait une rude concurrence, à un clochard qui n'avait que ça pour vivre.

 Durant quelques jours de pluie, à la maison on ressortit un cadeau que l’on avait eu au pied du sapin, il allait faire des étincelles, à défaut de faire de nous des génies. L’équipement du petit chimiste !
Pour les premières expériences on fut strictement encadré, la famille commençait on ne sait pourquoi à nous redouter !
On avait commencé par réaliser des breuvages, on pouvait faire une potion effervescente avec un gout acidulé ! Tester l'effet du vinaigre sur de la craie, découvrir les propriétés d'un aimant sur de la limaille de fer. Une expérience nous plaisait beaucoup, en mélangeant charbon de bois, limaille de fer et un autre produit que l'on faisait chauffer, cela déclenchait une gerbe d'étincelles !

Puis vint le moment où l'on commença une expérience tout seul, maman était partie faire les courses. Dans un tube à essai on mit quelques morceaux de craie rose, du vinaigre puis un petit bouchon. Il y avait bien une réaction mais ce n'était pas spectaculaire, on a eu alors la bonne idée de chauffer le tube avec une lampe à alcool... "Splatch !!" le bouchon fut projeté jusqu'au plafond ! On reçut tous les deux quelques petites éclaboussures de craie, c'est alors que l'on entendit maman discuter avec la voisine, elle revenait du marché, vite on rangea tout dans la boite.

Le midi, après le repas dans la cuisine, papa alla s'asseoir au salon à son fauteuil favori, au moment de se détendre un peu, il pencha la tête en arrière, je le revois encore bouche bée, stupéfait de découvrir une partie du plafond tout tacheté de rose !
Évidement il y eu quelques explications qui tournèrent vite à notre désavantage, pour une fois les grands n'y étaient pour rien.

 Ce n'est qu’aux vacances suivantes que l'on eut l'occasion de refaire des expériences terriblement amusantes. Lalou avait retrouvé la fameuse caisse de poudre à canon de grand père Fried, papa l’avait pourtant bien cachée dans le sous-sol. En grand frère soucieux des petits, il nous fit à Benj et moi, une démonstration de ce produit détonant.
Sur une grande table du sous-sol, il dessina un long serpent de poudre, je me souviens de cette forme en S qui prenait toute la table. Il nous fit reculer un peu du lieu de l'expérience, mis le feu à un bout du serpent !
Le temps d'un éclair et d'un "srouf !" fulgurant, nous étions enfumés et éblouis séance fumante. On ouvrit en grand les portes et fenêtres du sous-sol, puis on alla tousser dehors. La leçon de Jean-Louis, fut qu’il ne valait mieux pas que l'on s'amuse avec.

Quelques jours plus tard, François étant venu chez nous on voulut lui faire une démonstration avec la poudre. On fit cela dehors cette fois-ci, après en avoir fait brûler une petite quantité, on eut la bonne idée d'en tasser un petit peu au fond d'un tube en cuivre, puis de mettre une bille par-dessus la poudre, à l'allumage cela faisait un peu de bruit et projetait la bille pas trop loin... Pour améliorer l'expérience, on remplit l'intérieur d'un tube de stylo "Bic" que l'on mit dans le tube à la place de la bille. L'effet fut spectaculaire, nouvelle détonation, et stylo projeté à 10 m s'alluma et s'envola dans les airs pour atterrir dans le jardin voisin. On entendit alors justement un de nos voisins crier de manière inquiète :
- "les jumeaux ! Qu’est-ce que vous êtes encore en train de fabriquer !" Ben quoi, juste une fusée Bic.

Le beau temps revenu on décida d’aller se promener en vélo à la sortie du village il y a une colline, le Mont St Pierre qui domine les environs et donne une vue superbe jusqu´à la ville de Reims.
Tel napoléon, préparant la bataille de Friedland, nous venions y envisager nos excursions et ruminer d´autres explorations et aventures.

Notre vue donnait sur le parking du nouvel Hypermarché, magnifique colosse de béton, il ressemblait à un gros blockhaus.
Le bruit courait au village qu'il pourrait abriter la population en cas de catastrophe atomique ! C'était bien, ça nous rassurait.

Comme de preux chevaliers, nous avions enfourché nos vélos et galopions vers ce magnifique terrain de jeux.
L'entrée de ce magasin était immense, nous observions ces nombreux clients, entrer, sortir....
je ne sais plus qui eu cette idée, elle avait germé au creux de nos cerveaux géniaux !

Nos observations portaient sur le système d'ouverture et fermeture automatique des portes à doubles battants.
Il y avait un tapis à l'entrée, c´est au moment ou l'on marchait dessus que les portes s'ouvraient pendant un temps minuté, puis se refermaient.
Un peu d'entrainement entre nous, nous permit d'essayer un nouveau jeu :
On repérait une personne qui se dirigeait vers la sortie, gentiment de l'extérieur on déclenchait l'ouverture un peu en avance. Le client sortait du magasin et crounch ! notre proie et son caddy étaient coincées dans les portes qui se refermaient sur eux !

Benj, François et moi on avait disputé quelques parties avant de se faire méchamment dénoncer auprès des surveillants, s'en était suivi une petite course poursuite sur le parking, le dédale de voitures nous avait sauvés.

Il nous fallut un autre jeu juste entre nous, François resta spectateur.
On improvisa un tournoi, digne de ceux du Moyen Age : nous étions Benj et moi face à face à bonne distance l'un de l'autre, à cheval sur nos vélos chacun un caddy à la main.
Au signal de François, on fonçait l'un vers l'autre, le caddy remplaçait la lance, on essayait de dégommer l'autre.
La plupart du temps seuls les caddys se percutaient à grand fracas !
Á un moment j'avais touché Benj à la jambe, un point pour moi !
François relança le tournois et Benj plein d'une furieuse énergie arriva à toucher ma monture ! Aie aie la patte avant (la roue) était toute tordue... je repartis à pied, en direction chez Gilles, un copain qui habitait tout près. Lui c'était un cycliste confirmé, il me l'avait réparé en maintenant à deux mains un côté de la roue pour taper fortement l'autre sur un établi, puis avec des clés, il retendit un par un les rayons de la roue.

On était reparti, on avait roulé vers les champs en direction du village d'Orme, la campagne c'était plus paisible.
Sur la route à travers champs, on avait remarqué  des tas de bottes de paille près d'un hangar. on
s'était arrêté là. Il y avait de la paille sur une grande hauteur et par endroit des espaces, c'était génial pour y faire des cabanes.
On avait quitté ce hangar pour essayer d'escalader des bottes de paille empilées dans le champ, assez hautes de 3 à 4 mètres, c'était nos donjons !
François était assez habile, il était arrivé le premier en haut, Benj et moi on secouait ce donjon, à nous deux on réussit à le faire s'écrouler malgré ses cris !
Pour le consoler, c’était tellement amusant, j'avais escaladé le donjon d'à côté, c'était à son tour avec l’aide de Benj de me faire tomber dans une avalanche de paille.
Qu'est-ce qu'on s'amusait, on avait répété ce jeux durant une heure au moins....

A un moment il nous avait semblé entendre rugir un dragon au loin !
Un cultivateur descendu de son tracteur arrivait en courant et jurant: " bon diou de bon diou ! "
si je vous attrape !
On avait deviné qu'il ne nous proposait pas un nouveau jeu, et comme il avait donné l'alerte un peu trop tôt, nous avions enfourché nos montures et filé au galop !
Tagada tagada laissant derrière nous une plaine dévastée couverte de donjons en ruines après une rude bataille.
La plaine tremblait sous juillet.

 

 

3- Rue des Anémones et la famille

 

« Bien sûr, ce n'est pas la Seine,
Ce n'est pas le bois de Vincennes,
Mais c'est bien joli tout de même » (Barbara)

Devant la maison, il y avait beaucoup de place pour les fleurs, les lilas, buddleia et grandes tiges de roses trémières. Un passage sur le côté nous servait de terrain de boules ; que de bonnes parties en famille quand l´un des sept frères et sœurs de maman passaient le week-end à la maison, avec nos cousins cousines !

Sur cette bande de terrain il y avait deux magnifiques cerisiers, on avait vite appris à y grimper, on pouvait y faire concurrence à Crocro.
Crocro était un petit corbeau que Lalou avait trouvé, sans doute perdu par sa maman, dans un bois près des marais.
On avait réussi à le nourrir avec un peu de pain trempé dans du lait et du jaune d´œuf. Au début il était resté une semaine dans le sous-sol, puis papa avait craqué:  Crocro avait couvert la grosse mobylette bleue de fientes. Une fois mis dehors, Crocro revenait toujours dans le jardin, et même quelques fois se nourrir dans la cuisine. On l´aimait notre Crocro apprivoisé, même Gribouille, la chatte de la maison, le laissait tranquille. Elle avait assez à faire avec nous, ses petits chatons et Pan pan notre lapin gris-bleu. Il arrivait que parfois, quand maman montait la rue pour aller faire les courses, elle entende un flop flop gracieux, et que Crocro vienne se poser sur ses épaules. C'était drôle, mais n'avait pas trop apprécié de devenir la "femme au corbeau", plusieurs fois elle fut bien obligée de le chasser. Plus souvent il se perchait dans les cerisiers et sur les toits alentours.

Derrière la maison, le jardin s´agrandissait, quelques rocailles, pour les fleurs, un petit potager, beaucoup de pelouse, des noisetiers, un pommier, trois cerisiers sauvages près du portique. Les printemps y étaient magnifiques. Benjamin et moi on était agiles, dans les arbres comme sur le portique, trapèze et la balançoire. Au fond du jardin, un emplacement était réservé pour faire du feu au milieu d´un cercle de pierres. On y a fait de belles flambées, on aimait particulièrement y faire cuire des patates sous la cendre, c'était un délice.

 Après les explorations du jardin, les grands nous avait fait découvrir le Val d´or.
Au bout de l´impasse du même nom, il y avait les jardins des maraîchers, et un passage, avec le panneau, "propriété privé, défense d’entrer". Comme il n’y venait jamais personne à part nous, que la végétation y était sauvage et en friche, que les grands tout imprégnés de l’année mille neuf cent soixante huit, nous avaient affirmé "il est interdit d´interdire" on se l´était accaparé le Val d'or.

La première partie assez accessible et sèche était une sorte de savane durant l'hiver. Au printemps un fouillis d'arbustes devenus bien plus hauts que nous. Un passage obligé à travers un bois assez dense, et l´on arrivait à l'étang. C’était un endroit plein de vie et de surprises, sur les côtés de la mare une zone très humide à traverser un passage beaucoup plus risqué. Il y avait une manière de marcher, poser les pieds délicatement, en quelque sorte tâter le terrain, éventuellement marcher sur des branches au sol. Plusieurs fois il nous était arrivé de nous y enfoncer jusqu'à la cheville, quand on retirait le pied une odeur épouvantable s'en échappait. L’étang grouillait de vie, têtards ou grenouilles, dytiques, ragondins, échassiers, selon les saisons, de magnifiques roseaux, chardons, des nénuphars et belles plantes aquatiques, lys des marais.  C’était notre sortie préférée du weekend, après la sortie piscine, ou les visites chez les grands-parents.

Papa nous avait réquisitionnés pour aller faire du ménage dans le grenier du grand-père. Il habitait une charmante maison près du centre de Reims, je me souviens de sa belle façade en pierre meulière. Un jardin à l'arrière de la maison avec un enclos pour les poules, on adorait leur lancer des escargots et voir comment elles se jetaient dessus. Au fond du jardin les clapiers à lapins, trop mignons ces petites bêtes !
Grand-père nous avait raconté que pendant la guerre ils étaient bien contents d'avoir ce petit élevage, mais un prédateur était venu tuer ses lapins plusieurs fois de suite. Il avait alors piégé les alentours. Il fut étonné d'y prendre un gros chat redevenu sauvage. Le chat est passé à la casserole, Il avait le gout du lapin.
Dans la maison, grand-mère avait toujours quelque chose à nous raconter, elle n'avait jamais perdu son accent de Toulouse. Elle racontait comment elle avait appris à nager dans la Garonne, elle la descendante de "Don gaspard de Portola". Puis elle était devenue marraine de guerre. C'est comme ça qu'elle avait fait connaissance avec grand-père qui avait eu la vie rude.

Né en Angleterre de Marks, un papa fraîchement débarqué d’Afrique du sud et de Kate, une maman polonaise. Les arrières-grands-parents s’étant séparés, la maman était venue en France avec ses enfants. Elle avait dû abandonner grand-père dans un orphelinat, vers l’âge de 10 ans. Grand-père avait été placé dans plusieurs familles d'accueil, puis embauché comme garçon de ferme, par la suite était devenu bouilleur de cru. En 1914 il s'était enrôlé dans l'armée, avait été embarqué pour se battre en Crimée. Là- bas ça avait été terrible, il avait reçu plusieurs fois l'extrême onction, il avait été gazé dans les tranchées, avait eu les oreilles gelées et attrapé le paludisme. Après la guerre ils s'étaient mariés et avaient vécu comme militaires en Allemagne alors occupée par les français. Par la suite, grand-père a eu plusieurs métiers, il a été bijoutier et photographe.

Lors du rangement du grenier très encombré, on avait retrouvé un grand carton rempli de billets de millions de Deutsch Mark. Ils ne valaient plus rien, c'était des souvenirs de la terrible dévaluation allemande, il fallait une liasse de billet pour une baguette de pain, les billets étaient imprimés sur du papier journal.
Je me souviens aussi de nombreuses lettres et cartes postales écrites au stylo plume d'une belle écriture avec plein et délié.

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